Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Interview. Philippe Pujol :
« Je n’accable personne mais je n’excuse perso
nne »

Le journaliste marseillais Philippe Pujol vient d’être récompensé du Prix Albert Londres 2014 pour son reportage « Quartiers shit » paru dans le quotidien régional la Marseillaise, à l’été 2013. Un travail de terrain dans les cités des quartiers nord qui démonte tous les clichés. C’est ce qui a plu. A son retour à Marseille, Philippe Pujol raconte ce succès inattendu dont il a peine encore à réaliser. Rencontre.

Le Prix Albert Londres récompense un reportage de terrain investiguant - d’ordinaire, dans des zones de guerre. En primant cette année ton reportage sur les quartiers nord de Marseille - qui défraient régulièrement la chronique pour leurs règlements de compte en série, n’est-ce pas finalement une manière d’assimiler Marseille à une zone de conflits ?

Le Prix Albert Londres tient compte à la fois de l’enquête et de la qualité de l’écriture.

En ce qui me concerne, c’est la qualité d’écriture qui a été primée parce que je démonte les clichés, parce je suis « ultra-terrain », par e que j’apporte un éclairage nouveau sur Marseille. C’est le traitement que j’en ai fait qui a attiré le jury. Je pense que ça l’a bluffé. Le jury cherche à récompenser un journaliste qui colle à l’écriture d’Albert Londres, qui faisait, aussi bien du grand reportage que du Marseille Porte du Sud où il essayait de montrer ce qui n’était pas évident à voir. Et dans cette série-là, c’est mon cas.

Quel est le moment qui t’as fait le plus plaisir après avoir reçu l’Albert Londres ?

C’est certainement le message d’un de mes contacts qui me dit qu’on lui demande : « Mais c’est qui ce mec ? Il a tout compris ! » . C’est tout con, mais ce message il m’a extrêmement touché. Par rapport à tout ce que j’écris sur les quartiers populaires, ce message est très important pour moi. Il exprime tout le sens de mon travail.

Lorsque tu as reçu ton Prix à Bordeaux, lundi 12 mai, tu as déclaré dans ton discours que ce prix est aussi pour les gens sur qui tu écris, des quartiers populaires de Marseille. Qu’as-tu à leur dire ?

On a gagné !

Ca veut dire aussi que le travail que tu mènes depuis plusieurs années sur la délinquance dans les quartiers de Marseille est fini ?

J’ai encore des choses à dire sur les « aller-retour » entre délinquance, banditisme et la construction de la ville. Politique, économique et urbanistique. Avec un autre journaliste, j’ai commencé à écrire un livre qui était en suspens ces derniers temps. Mais là, j’ai décidé de le reprendre. D’un point de vue plus journalistique, j’ai envie de faire un gros travail sur le clientélisme et les clientélismes qui façonnent Marseille.

Tu es journaliste à la Marseillaise depuis près de 10 ans. Tu n’es pas issu d’un cursus journalistique reconnu par la profession. Chacun de tes prix est le fait d’un reportage de terrain qui se déroule en plein cœur des quartiers. Finalement est-ce que la meilleure école de journalisme n’est-elle pas celle de la rue ?

Je ne suis pas formaté. Je n’ai pas un style conventionnel, c’est clair. Et je l’ai toujours recherché. Pourquoi ? Parce que je suis dyslexique depuis l’école primaire. J’ai des stratégies de contournement pour pouvoir écrire un semblant de pensée. Des stratégies qui sont devenues au fil du temps un atout et qui m’ont fait adopter un mode d’écriture qui ne répond pas à la logique grammaticale. J’écris avec des images, des métaphores, des digressions, des néologismes. Je n’ai été détecté dyslexique qu’à 36 ans et j’ai dû faire un an et demi de rééducation. J’en parle car ça peut, peut-être, donner du courage à des gosses.

Lors de ta nomination, la foule présente à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Bordeaux se pressait de flatteuses comparaisons avec le style de Louis-Ferdinand Céline ? Qu’en est-il ?

Oui, c’est la première chose que l’on m’a dite. Je lis beaucoup de Céline et il y a certainement du Céline dans ma manière d’écrire puisque j’écris de manière orale. Mais je n’écris pas volontairement à la manière de Céline.

En revanche, j’écris de manière consciente à la façon de Félix Fénéon qui m’a toujours fasciné. Ce sont mes gammes. C’est assumé. Pendant les huit années où j’ai été fait-diversier, ça me plaisait pas mal d’écrire à sa manière, c’était pour moi une façon de lui rendre hommage. Je travaille beaucoup mon style. Quand il y a du terrain et une grosse envie de ma part, j’écris.

Certains te rangent déjà dans la case « polar social » ?

Jean-Claude Izzo faisait ça. Sauf que dans mes reportages, il n’y a pas d’intrigue. Le côté social est évident. Le côté polar, c’est peut-être parce que je suis fait diversier mais moi, je ne le vois pas. Dans l’écriture, je suis plus proche de Céline que d’Izzo. Sur le volet social, dans l’exploration des bas-fonds et des comportements humains. J’écris sans jugement de valeur. Je n’accable personne mais je n’excuse personne, non plus.

Pourtant, publier une série de dix épisodes c’est un peu comme raconter une histoire, non ?

Oui, parce que c’est bien raconté. Mais le reportage est construit avec deux interviews d’experts qui légitiment mon travail et permettent de dire, d’une autre manière, ce que les autres gens que j’ai rencontrés disent tout au long de mon reportage. Ce n’est pas du roman, c’est de la réalité.

Pourtant, « le bon journalisme a toujours été de raconter une bonne histoire », déclarait récemment l’ancien patron mythique du Washington Post, Benjamin Bradlee.

Dans touts les papiers que je signe de mon temps, j’essaye de constater sur le terrain. Je n’invente pas d’histoire mais je travaille consciemment mes transitions pour promener mon lecteur. J’au une écriture très visuelle, probablement parce que je suis dyslexique. Le fait d’être fait-diversier et un gros sens de la formule m’ont beaucoup aidé aussi.

Justement, primer un fait-diversier pour un Grand reportage d’investigation à l’heure de l’information instantanée est un message fort à la profession. Est-ce que cela ne sonne-t-il pas aussi le glas d’un avertissement à la classe journalistique ?

Je pense que dans toutes les locales de France, il y a des « Albert Londres », sauf que les journalistes ne concourent pas parce qu’ils pensent que le Prix est destiné aux journalistes qui ont fait des reportages au Kazakhstan ou en Afghanistan.

Et toi, qu’est-ce qui t’as tenté ?

Lorsque je monte à Paris pour la remise du « Prix Lagardère, journaliste de l’année » parce que j’étais dans le carré final, je rencontre Bernard Pivot qui me tape sur l’épaule et me dit « Monsieur, vous écrivez très bien ». Parce que Bernard Pivot me dit ça, j’envoie mon reportage à l’Albert Londres. Si Bernard Pivot ne me dit pas ça, je ne l’envoie pas.

Entretien réalisé par Linda Be Diaf

Journaliste au quotidien la Marseillaise, Philippe Pujol a reçu le 76ème Prix Albert Londres (2014), est arrivé 2e au concours du Prix Jean-Luc Lagardère journaliste de l’année (2013), a remporté le 1er Prix de la PQR de la fondation Alexandre Varenne (2012) et le 3ème Prix de la PQR de la fondation Alexandre Varenne (2010).
Tag(s) : #Journalisme, #Journalistes, #MediaLab, #médias, #PACA, #Albert Londres, #People Art, #Marseille Actu, #Marseille
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :